Comment Milan est devenue la capitale mondiale du design?
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Pour percevoir l’importance du design dans la culture italienne du XXème siècle, il faut remonter aux années 20. Cet entre-deux-guerres est le moment de l’installation de la politique fasciste de Mussolini et elle s’ancre, du point de vue des valeurs culturelles, dans une historicité néoclassique dans un premier temps. Les grandes villes du Nord de l’Italie; Milan, Turin et Gênes sont alors déjà le coeur de l’industrie italienne. En raison d’un mécénat culturel d’Etat, les artistes et architectes interviennent dès cette époque pour remodeler l’identité culturelle italienne.
L’une des figures emblématiques de ce renouveau est le milanais Gio Ponti (1891-1979) qui participe à la Première Biennale des arts décoratifs de Monza en 1923 en qualité de directeur artistique de la manufacture de porcelaine Richard-Ginori avec des modèles de formes classiques aux décors symétriques dans lesquels il introduit des éléments naturalistes.
Gio Ponti est une personnalité incontournable en ce qu’il traverse les époques et les styles en réinventant sa place en permanence; il fonde en 1928 la revue Domus qui accorde une grande place à la diffusion des projets architecturaux, des décors intérieurs et des meubles et arts décoratifs crées en Italie mais aussi en France, en Scandinavie et aux Etats-Unis en particulier.
Cette activité n’est pas exclusive puisqu’il fonde en 1927 Il Labirinto avec des architectes, des artisans et des entrepreneurs afin de proposer du mobilier moderne qu’il intègre ensuite dans ses projets d’architecture privée. Sa longue carrière le conduit à réaliser des aménagements d’hôtels, des décors de bateaux, des collections d’objets en collaboration avec des artisans indépendants, des manufactures artisanales et industrielles prestigieuses (Venini, Christofle, Krupp, etc)
Pendant ce temps, plusieurs générations d’architectes se forment à l’école Politecnico de Milan et de ce terreau émerge le Gruppo 7 * dont le manifeste rationaliste s’inscrit en rupture des styles néoclassique et futuriste. Ils disposent d’une salle d’exposition indépendante dès la Triennale de Monza de 1927.
Cette dernière est déplacée à Milan en 1933 dans le Palazzo dell’arte construit par Giovanni Muzio et son objectif est toujours de stimuler l'interaction entre l'industrie, la production et les arts appliqués. Lors de la Reconstruction d’après-guerre, elle a assumé un rôle de premier plan dans la création du Quartier Triennale 8 de Milan reconnaissable à ses maisons préfabriquées et ses espaces verts. Intensifiant la compétitivité, Gio Ponti est l’instigateur, en 1954, du Prix du Compasso d’Oro qui récompense les fabrications italiennes et qui sont exposées ensuite à la Triennale.
Entre autres figures de l’architecture et du design milanais jusqu’à la fin du des années 80, sont diplômés en 1929-30 Franco Albini et Ignazio Gardella;
Entre 1933 et 1936 Lodovico Barbiano di Belgiojoso, Luigi Banfi, Enrico Peressutti et Ernesto N. Rogers (formant plus tard le studio BBPR, en photo ci-dessus) , Carlo de Carli, Osvaldo Borsani, Pier Giacomo Castiglioni et Luigi Caccia Dominioni;
Entre 1939 et 1946 Marco Zanuso, Achille Castiglioni, Angelo Mangiarotti, Vittoriano Vigano etc.
La ville de Milan ayant été bombardée pendant la seconde Guerre mondiale doit faire face à la Reconstruction et le rationalisme est alors le courant dominant de la modernité. On pense en particulier aux deux premiers gratte-ciels de la ville, la tour Pirelli de Gio Ponti et la tour Vellasca du studio BBPR construites l’une et l’autre entre 1956 et 1958.
Au-delà de ces projets, les initiatives en matière d’aménagement intérieur suivent l’architecture et les meubles sont produits grâce à l’alliance du savoir-faire artisanal et de l’intelligence des processus industriels mis en place dès les années 30.
En 1961, un ensemble d’entreprises italiennes du meuble habituées à participer au salon de Cologne décide de se fédérer et créent ainsi le Salone del Mobile à Milan. D’abord consacré au mobilier domestique, il s’étend aux luminaires, à la cuisine, au mobilier de bureau jusqu’à être tellement recherché qu’un salon Off voit le jour dans tout le centre-ville. Les palazzi du centre et de la périphérie de Milan sont aussi mis à contribution pour créer un évènement dont la portée est depuis longtemps internationale et inégalée.
Ainsi, en moins d’un siècle, la ville de Milan s’est révélée être la place la plus dynamique pour la présentation du design contemporain et elle demeure aussi un lieu important de conservation d’archives, d’ateliers et de demeures emblématiques permettant d’aborder le design historique italien.
* Luigi Figini, Guido Frette, Sebastiano Larco, Giuseppe Pagano, Gino Pollini, Carlo Enrico rava, Giuseppe Terragni, et Ubaldo Castagnoli remplacé l’année suivante par Adalberto Libera
Bibliographie : Dolce Vita? Du liberty au design italien (1900-1940), Sous la direction de Guy Cogeval et Beatrice Avanzi, Musée d’Orsay et Skira éditions, 2015